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Nos futurs juristes en milieu carcéral

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Nos futurs juristes en milieu carcéral

« Centre de détention, de rééducation, et de réinsertion de Bollé ». Cet écriteau surplombant l’entrée est tristement significatif. Il suggère aux passants la proximité patente entre le monde de la liberté et celui de la détention. Mardi 30 mai 2023. Une chaleur caniculaire. Les étudiants de la Clinique juridique massés à l’entrée du centre pénitentiaire de Bollé, attendent le contrôle d’identité. Ici, rien ne traîne. Tout suit la vitesse de l’éclair. Après des appels rapides, suivis de vérifications, deux dames militaires remettent à chaque visiteur un ticket vert. Un document précieux qu’il faudra impérativement présenter au moment de sortir. Humour noir dans la voix, la porteuse d’uniforme taquine un étudiant. « Si vous les perdez, vous resterez et deviendrez Djeneba Djan ( la grande Djeneba. » Rires dans le groupe.  Le règlement exige également des fouilles pour récupérer téléphones et autres objets contondants ou tranchants qui ne doivent pas franchir le seuil de la prison. Nous voilà à Bollé, le centre carcéral destiné aux femmes et aux filles condamnées. Monde sinistre, où la vue se limite seulement à un mur géant qui serpente et encercle de toute part. Une réclusion, Où, l’on ne voit que le couvercle du ciel et des fils barbelés placés pour décourager tout projet d’évasion. Là, ce qui nous relie au monde extérieur, ce sont les klaxonnements de voitures et les sirènes d’ambulance. La gestion de Bollé revient à un personnel composé de civils et militaires. Créé en 1999, ce centre compte un personnel féminin qui s’occupe des fouilles corporelles lorsque les détenues arrivent. Six unités composent cet établissement dont la surveillance, la réinsertion, la santé, les services sociaux. Gestion et motifs d’incarcération Le lieutenant-colonel, Boubacar Z CAMARA, Directeur du centre, et Le lieutenant Seydou DOUMBIA, chef du peloton s’entretiennent debout avec les étudiants de ISPRIC. De vrais militaires faisant tout avec entrain. Les voix vigoureuses et impératives comme si elles s’adressaient à des troupes. Au moins 195 détenues peuplent Bollé. Leurs incarcérations sont multiples. Vol, assassinat, infanticide, traite de personnes, crimes liés aux TIC, atteinte aux deniers publics, sont entre autres les motifs pour lesquels nombre de ces incarcérées purgent leurs peines. Bollé est une vraie école où l’on peut méditer sur la vie.   Le lieutenant-colonel, et son collègue, Seydou DOUMBIA, sont devenus grands philosophes, de sages austères à force de fréquenter jour et nuit ce lieu atypique. De ces deux officiers, on retient cette leçon : mince est la barrière qui sépare tout Homme de la prison. Une minute, une seule malheureuse minute suffit pour que tout individu commette l’Irréparable, par inadvertance ou de manière délibérée. La prison, ça ouvre grands les yeux sur la précarité de la liberté. Elle montre la force irrésistible du destin. C’est d’ailleurs ce conseil qu’un Ispricien donne à trois mineures rencontrées. Celles-ci sont dans un local uniquement dédié aux filles n’ayant pas atteint leur majorité.  « Vous êtes nos petites sœurs. Nous sommes venus vous témoigner notre amour et notre solidarité. Sachez que l’homme ne fait que suivre les décrets du Ciel. Réjouissez-vous. Car, après la prison, le bonheur vous attend. Vous êtes si jeunes. Ce qui vous arrive peut arriver à tout le monde. Vous comptez parmi ceux qui bâtiront ce pays », affirme-t-il, pendant que les trois filles écoutent avec un grand respect, regards rivés sur le sol. La formule consacrée des surveillants de prison qui ont le sens de l’auto-dérision est la suivante : « C’est notre deuxième demeure. Bollé est, du moins, le lieu où ces militaires passent le plus clair de leur temps. Le cas du lieutenant Seydou DOUMBIA en est d’ailleurs une belle illustration : être sur le qui-vive pendant que tout Bollé gît dans les bras de Morphée, veiller aux rotations des surveillance constituent des activités extrêmement chronophages pour ce chef de famille. « Nous sommes tous partagés entre le devoir et les sentiments », déclare-t-il. Tel un héros cornélien tenté par des actions héroïques, c’est à l’appel du devoir que le lieutenant DOUMBIA répond tous les jours. Qu’il pleuve ou qu’il neige, les premières lueurs du soleil (5 heures) le trouvent entre les murs de Bollé. Et c’est tard la nuit, très souvent à 23 heures, qu’il rentre voir sa famille. Infrastructures Les lieux sont propres. Aucune pléthore. Des espaces aérés où le souffle du vent se mêle à la musique que donnent les boomers MP3.  Cette unique prison pour femmes du Mali est compartimentée selon les profils des détenues. A Bollé, il existe plusieurs infrastructures. Blocs des fonctionnaires, bloc des dangereux ou de récidivistes, bloc des nourrices, sont, entre autres, les différentes cellules disponibles pour accueillir les condamnées.   A Bollé, des cours d’alphabétisation sont dispensés. L’on y apprend également des métiers pour commencer une belle vie après la prison. Mais en réalité, toutes ces activités se résument à des passe-temps. Apprendre et bosser pour tuer le temps. C’est bien cela, travailler afin de casser la monotonie des jours, remuer le cerveau et les membres pour ne pas sentir la marche boiteuse des minutes et des heures qui s’égrènent si lentement en tôle.  Savonnerie, couture, élevage, maraîchage, coiffure font partie des métiers que les détenues apprennent en purgeant leurs peines. A l’atelier de couture, que nous avons visité avec nos hôtes, deux dames sont assises et pédalent leurs machines singer. « Ces jeunes sont vos frères venus vous rendre visite. Ce sont des étudiants de l’ISPRIC », leur parle l’officier. L’une d’elles se distingue par son « bambara », fortement affecté par une langue d’un des pays voisins du Mali. Elle formule maintes bénédictions. « Etudiez avec beaucoup de rigueur et de sérieux. Ne vous battez surtout pas. M’avez-vous entendue ? Il ne faut jamais vous battre avec qui que ce soit », enjoint-elle. Le Mali est l’un des rares pays à humaniser le séjour carcéral, jure l’officier DOUMBIA. Donner à l’Homme toute sa grandeur, toute sa dignité où qu’il soit. Telle semble être la vision des autorités qui ont eu l’idée de sortir sous terre un établissement uniquement conçu pour l’incarcération des femmes ayant fauté. Frissonnants d’émotion, cils imbibés de larmes, nous quittons cet atelier pour visiter les locaux du service social. Derrière Emmanuel COULIBALI, le responsable de l’action sociale, un message très fort se dessine au mur. « L’espoir est la dernière des choses qui doit mourir dans le cœur d’un homme. » Etrange phrase qui en dit long sur les missions de ce travailleur social.  Chaque jour, COULIBALI œuvre pour que les détenues aient un mental en béton afin de supporter leur sort. Qu’elles gardent espoir, advienne que pourra.  A travers l’écoute, il prépare psychologiquement les détenues à positiver les choses. Pathétique et profond ce puits de silence et de solitude au fond duquel les détenues se tapissent quand elles arrivent à Bollé.   « Les premiers jours en prison sont des moments douloureux. Certaines détenues, sombres et taciturnes, peuvent passer trois jours dans leurs cellules sans vouloir dire un mot à personne », témoigne-t-il.    Mais faut-il tout abandonner parce que l’on est en prison. Non, notre travail consiste à leur redonner le sourire, en les amenant à accepter ce destin. Nous les motivons pour qu’elles croient en l’avenir. Car, demain sera beau si elles réinventent la part de Bien qui sommeille en elles, fait-il remarquer aux étudiants assis sur des chaises. Etrange lieu   Il suffit de faire une promenade pour voir que la joie de vivre existe même dans les geôles. Pas d’esseulement. L’atmosphère est loin d’être celle des foules d’enterrement qu’on pourrait imaginer. Des scènes de liesse sautent à l’œil. Des groupes de dames chantonnent. Elles font pleuvoir des coups de pilon sur des épis de mil dans un mortier. Une ambiance similaire à celle des villages.  A côté de ces pileuses, une boulangerie en chantier. A l’intérieur, des travaux de carrelage. Un ouvrier, en loques, remplit une pelle de sable mélangé avec du ciment qu’il verse dans une brouette stationnée. « C’est la boulangerie de Bollé que vous voyez. Sous peu, elle sera fonctionnelle. Le personnel ainsi que des détenues ont été formés pour la production », exulte le lieutenant-colonel Boubacar Z CAMARA. Des crèches en prison ! Pourquoi ? En effet, certaines détenues viennent avec leurs enfants, fait savoir l’officier. Et ces crèches sont faites pour eux. Car, la législation pénale autorise les nourrices à garder leurs enfants. Mais, si ces derniers atteignent 3 ans, ils sont, soit confiés à des correspondants, soit à des établissements d’accueil, explique CAMARA. Après cette visite, nos pas nous mènent au centre spécialisé de détention, de rééducation et de réinsertion pour mineurs de Bollé. A quelques encablures de Bollé femmes.