Dans les labyrinthes du métier de juge

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Visage explosif de sagesse, l’ancienne vice-présidente de la Cour Pénale Internationale, Fatoumata Dembélé DIARRA, s’installe parée d’une tenue « wax » façonnée à la sahélienne. Acclamée par la foule, elle pose stylo et bloc note sur la table, ôte son masque. Puis, elle promène son regard placide de juge sur l’assistance composée essentiellement d’étudiants de l’ISPRIC.

Avant l’exposé sur le thème « Les réalités pratiques et les enjeux socio-politiques du métier de juge au Mali », Dr. Mohamed Modibo FOFANA, Responsable du Pôle Droit, se lève de son siège, avance vers le pupitre. Il empoigne le micro, puis se répand en formules élogieuses pour rendre hommage à la première femme malienne vice-présidente de la CPI. Une légende du panthéon juridique que nos étudiants ont le privilège de recevoir en ce samedi 25 février 2023.

Yeux derrière des verres, sourire aux lèvres, Dr. FOFANA la regarde et l’appelle affectueusement « notre mère. » « Maman, soyez la bienvenue.  Nous sommes chanceux, chers étudiants, d’avoir parmi nous aujourd’hui Mme DIARRA. Si j’essaie de vous parler d’elle, je risque d’omettre certaines de ses qualités. De profaner son CV si sacré. Certes, elle a été juge à la CPI, mais sa plus grande réussite est, selon elle-même, d’avoir pu organiser un concours transparent au sein de la magistrature du Mali », affirme Dr. FOFANA. Aussitôt, avalanche d’ovations assourdissantes dans la salle.

La voix émue, l’ancienne juge, en prenant la parole, a souvenance de ces temps de naguère, où elle était encore étudiante. La vue des jeunes ispriciens fait resurgir dans sa mémoire son passé d’apprentie juriste à la Fac. Hélas devenue une vieille femme. «  Maintenant que j’ai franchi le seuil de votre amphi, c’est ma peau d’étudiante qui refait surface sur tout le reste », dit-elle la voix légèrement troublée, à cause de l’émotion et de la nostalgie des heures qui ne sont plus. Ensuite, elle se saisit d’un cahier où sont gravées les grandes lignes de l’exposé et que ses yeux parcourent.

Face à un tel public versé dans les sciences juridiques, la méthode choisie par celle qui a été à la Haye est très pragmatique. « Mes chers enfants et petits-enfants, le métier est un métier ou devrait être un moyen de protection du citoyen dans la société. Un moyen de protection du citoyen contre la société. Et de protection de la société contre le citoyen. La justice est un moyen de dissuasion et aussi de persuasion. Chacun sera enclin à respecter l’ordre établi en sachant qu’en les violant on s’expose à une sanction pénale et à la réparation du préjudice », explique-t-elle. 

Les explications de l’oratrice ont cette particularité d’être étayées par des anecdotes.

Des voix s’opposent ...

Mme DIARRA enseigne que le juge travaille plus dans la réflexion que dans l’émotion ou la passion. Il doit, à chaque fois, réfléchir aux conséquences de sa décision. Pour orner bellement cette leçon, elle raconte bien des histoires frissonnantes ayant défrayé la chronique. Et l’un de ces récits a d’ailleurs été le sujet de leur évaluation à l’Ecole de la magistrature à Paris. « Un jeune militaire de 22 ans termine son service militaire et rentre dans son village. Il trouve l’atmosphère de la faille dégradée. Son père rabougri.  Toujours solitaire. Car, sa femme a trouvé un nouveau copain. Le jeune homme crie à l’absurdité. Il va voir le libraire pour des explications. Ce dernier lui répond avec arrogance. Fou de rage, le jouvenceau retourne prendre son fusil puis vient exécuter le copain de sa mère. Il se rend ensuite à la police, avoue avoir tué un homme et est mis aux arrêts après vérifications », narre-t-elle. Aussitôt, elle interroge l’assistance. « Dites-moi avons-nous affaire à un crime qui mérite une sanction exemplaire ? Ou à une victime de la société à qui il faut porter secours ? », enquiert-elle, en tapant par inadvertance le pupitre comme si elle tenait le marteau du juge. Qu’elle a pourtant déposé depuis belle lurette.

Le micro erre de main à main pour laisser entendre des réponses opposées. « Sanction exemplaire ! », exigent des voix. « Victime de la société », rétorquent d’autres. Mme DIARRA laisse éclore un long sourire après avoir entendu les jeunes. Il n’y a pas eu préméditation, mais réaction dans la folie, soutient-elle. Elle argue que le garçon a été condamné à un an de prison avec sursis. L’armée a réparé les préjudices, fait-elle remarquer.   

Pendant une heure d’horloge, les étudiants sont restés suspendus aux lèvres de l’ancienne magistrate. Et ont voyagé avec elle à travers beaucoup de dossiers intrigants et déroutants qu’elle a dénoués et résolus durant sa carrière.